Marcher

— Il marche bien, ton nouvel aspirateur ?
— Eh bien, depuis que je lui ai coupé les pattes, il se contente de fonctionner lorsque je m'en sers.

Oui, bon, je chipote, je chipote. Je joue sur les mots, plus précisément sur les verbes.
Pourtant, et juste entre nous, il y a une vraie différence entre marcher et fonctionner, non ?
J'ai tout de même jeté un œil dans quelques dictionnaires et en ai conclu que marcher, dans le sens de fonctionner, est admis.
Ça marche !
D'ailleurs je ne vais pas vous faire marcher, je suis le premier à utiliser marcher en lieu et place de fonctionner. Naturellement. Il est à parier que le verbe fonctionner va poursuivre, lentement mais sûrement, sa marginalisation. Dans un futur plus ou moins proche il rejoindra la grande famille des mots désuets et sera affublé, dans les dictionnaires, d'un humiliant "vieux français".
Ainsi va une langue dite vivante...

Citation d'Eugène Ionesco

Il faut écrire pour soi, c'est ainsi que l'on peut arriver aux autres.
Eugène IONESCO

Dépenses somptuaires

Vous avez tous déjà entendu parler de dépenses somptuaires.
Mais saviez-vous que cette expression peut être considérée comme un pléonasme ?
À l'origine, l'adjectif somptuaire désigne des lois réglementant des dépenses, ce que nous devons aux Grecs et aux Romains. Somptuaire se rapporte donc, par définition, à la dépense.
Mais, par confusion avec somptueux, puis par habitude, on a donné à cet adjectif le sens de luxueux et par extension tout ce qui désigne des dépenses importantes et luxueuses mais généralement inutiles.
Bref, les puristes vous diront, à raison, que dépenses somptuaires est un pléonasme. Et ce même si des écrivains célèbres (dont Paul Valéry) l'ont utilisé.
Soit.
Il est toutefois certain que ce somptueux article n'a rien de somptuaire... Et qu'en outre il est gratuit.
Vous pouvez passer à autre chose.

Ne pas confondre : héros et héraut

Mon père, ce héros... Ou ce héraut ? Bon, il n'est ni facteur, ni originaire de l'Hérault, on peut donc en déduire que c'est bien un héros !
Il ne faut donc pas confondre héros et héraut. Un coup d'œil au dictionnaire :

Héros : Personne qui se distingue par sa bravoure, ses mérites exceptionnels, etc.
Principal personnage d'une œuvre littéraire, dramatique, cinématographique.
-> S'écrit avec un S au singulier comme au pluriel !
-> Son féminin est héroïne (et non hérose, comme sa terminaison masculine pourrait le laisser croire)

Héraut : En Grèce et à Rome, messager chargé de porter les ordres du prince, de faire les annonces dans les assemblées et de déclarer la guerre.
Littéraire : Personne qui annonce quelque événement remarquable.
-> Ne prend pas de L avant le T final ! Ce mot n'a donc rien à voir avec le département (qui tient son nom d'un petit fleuve côtier).
-> N'a pas de féminin.


Un an de billets

Il y a exactement un an, je postais le premier billet de ce blog. Et voici le trois-cent-cinquante-neuvième !
J'avais ressenti à cette époque le besoin de parler, sans prétention, de notre langue, dans toute sa complexité mais aussi sa richesse et sa beauté. Et il y a "matière à", n'est-ce pas ? Raison pour laquelle, un an après, ce blog est toujours là.
J'ai, à de très rares exceptions près, réussi à poster un billet chaque jour. Je pense que je vais pouvoir tenir ce rythme quelque temps encore, car j'ai pas mal d'articles "en soute", prêts à vous être livrés !
Si je poursuis cette modeste aventure, c'est parce que j'ai reçu beaucoup d'encouragements de votre part, amis lecteurs. Merci du fond du cœur.
Les habitués de la première heure n'auront pas manqué de remarquer que certaines rubriques (catégories) sont apparues au fil du temps, que d'autres ont été laissées plus ou moins à l'abandon. Ce blog est donc vivant, évolue et évoluera encore. D'ailleurs, n'a-t-il pas changé de nom ?
Pour résumer ma pensée, je sais le chemin déjà parcouru, mais n'ai qu'une vague idée de ce que sera l'avenir de cet espace consacré au français. Carpe diem !
Je suis ouvert à toute proposition. N'hésitez pas à m'en faire part...
Allez, je souffle ma bougie et me remets au travail !

Proverbes de Chaval

Chaval, de son vrai nom Yvan Le Louarn, était un dessinateur humoriste. Il a réalisé des dessins pour la presse (Le figaro, Paris Match, ...) mais a aussi illustré des livres (Robert Beauvais, Histoire de France et de s'amuser, 1964). Il s'est suicidé le 22 janvier 1968. Drôle de fin pour un humoriste.
Il nous a laissé aussi quelques textes, dont ces proverbes à l'humour très particulier :

Le borgne qui achète un appareil stéréoscopique se double souvent d'un imbécile. 
Paris n'a pas été bâti en un jour et n'est même pas encore terminé. 
Le médecin à qui vous tirez la langue vous le fera payer cher, mon petit. 
Je plains les lapins cardiaques. 
Une femme sans cheveux est un facteur sans képi. 
L'abus des boissons alcoolisées fait vivre bien des familles sobres.




Vrai ou faux

Ce samedi, je vous propose ce petit poème rigolo, que j'ai trouvé un peu par hasard. Facile à apprendre, vous pourrez même le réciter devant vos collègues ébahis à la pause café, lundi matin. Vous allez faire sensation, c'est moi qui vous le dis !

Vrai ou faux 
Même les beaux Chinois mangent !
Même les beaux minois changent ! 
Klein n'aimait pas les faussaires
Claire n'aimait pas les faux seins 
Cécile a des fauteuils
Cet œil a des faux cils 
En Corse, le maquis reste roi
En Corse, le mari reste coi 
L'Irak défend Chimène
Chirac défend l'hymen 
André Derbez

L'hyperbole

L'hyperbole est une figure de style couramment utilisée, y compris dans la langue de tous les jours. Lorsque vous dites, par exemple, "C'est à mourir de rire", vous faites une hyperbole pour parler d'une chose très drôle.
Elle consiste donc à exprimer de façon exagérée une idée ou un sentiment et utilise pour cela plusieurs types de procédés, comme la comparaison, la métaphore, l'emploi de mots excessifs , l'emploi de superlatifs, etc.

En voici quelques exemples, tirés de notre littérature :

L’éternité pour moi ne sera qu’un instant. (Jean-Baptiste Rousseau) 
Sa garde est aussi forte que celle du prince devant les trônes se renversent ; ses armées sont aussi nombreuses, ses ressources aussi grandes, et ses finances aussi inépuisables. (Montesquieu) 
Je crois que je pourrais rester dix mille ans sans parler. (Jean-Paul Sartre) 
Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'à aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie [...] (Madame de Sévigné)

Je vous laisse le soin de recenser toutes les hyperboles utilisées familièrement par chacun d'entre nous...

Citation de Jean de la Bruyère

Il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement.
Jean de la BRUYÈRE

Charles Trenet

Le 19 février 2001 disparaissait un grand chanteur et poète, Charles TRENET. En guise d'hommage, comme j'ai pris l'habitude de le faire sur ce blog, voici l'un de ses poèmes...

Ma mère sur la plage 
Ma mère sur la plage
Porte une robe trop longue
Plus tard elle sera en maillot
Elle fera moins  « époque ».
Je ris de la voir ainsi
Toute transie
Et toute mouillée
Elle s’achemine
Vers sa cabine
Dont la porte de bois se ferme verrouillée.
Ma mère vient de prendre un bain de mer
Elle hurlait, la sauvage,
Sur la plage.
Et après qu’elle était passée
Tout le monde se retournait
Parce que ma mère est belle
Et qu’elle
Porte en elle
Des larmes, des soucis, des regrets et peines.
Je suis un petit garçon
qui rit et qui chante dans le matin.
Je suis trop gras et je fouille dans le sable,
Je cherche des crabes.
Je suis en caleçon.
Je suis un petit garçon.
Le soir ma mère parle avec les voisines
Et de la cuisine
Monte une odeur de sardine.
Demain, à pareille heure,
Nous reviendrons au même endroit.
O, que de souvenirs étroits !
Comme sautille l’enfance aimée
Dans la maturité clairsemée.
Enfance sans discipline, sans respect et sans loi,
Enfance des plages trop grandes,
Des mères trop belles.



Ne pas confondre : démystifier et démythifier

Voici deux verbes – démystifier et démythifier – qui ont un petit air de ressemblance suffisant pour qu'on les confonde et qu'on mélange allègrement leur orthographe. Voyons ça de plus près.

Démystifier : détromper quelqu'un alors qu'il est l'objet d'une mystification. Enlever à quelque chose son caractère mystérieux qui lui donnait un certain pouvoir, une certaine force.
-> Pour se souvenir de son orthographe, il suffit de penser au mot "mystère" : un Y et pas de H.

Démythifier : enlever à quelqu'un, à quelque chose leur caractère mythique.
-> Il suffit de penser au mot "mythe" : un Y et un H.

(définitions Larousse)

Selfie

Je commencerai cette semaine par un petit coup de gueule et revêts donc ma tenue de Don Quichotte de la langue française.
Le "moulin à vent" du jour est un mot anglais qui a la cote en ce moment dans les media français : selfie.
Pour celles et ceux qui seraient "passés à travers" ces dernières semaines, le selfie consiste à se prendre en photo en tenant son appareil (téléphone, appareil-photo, etc.) à bout de bras. À réaliser son autoportrait, donc.
Ah oui mais non ! vous répondront les aficionados de ce terme barbare : c'est un autoportrait qui est destiné à être publié sur les réseaux sociaux et il peut inclure en arrière-plan une scène, un évènement, voire une autre personne (célèbre si possible).
Oh, pardon, il y a effectivement une nuance !
Nos amis québécois, autrement plus prompts que les Français à réagir à l'invasion anglo-saxonne de notre langue, ont inventé le terme egoportrait qui me semble être une bonne traduction. Et quitte à intégrer des mots nouveaux à notre langue, autant que ceux-ci "sonnent" français, non ?

Ceci dit, je descends de Rossinante et vous avoue piteusement que j'utiliserai plus facilement selfie qu'egoportrait. Et je suis prêt à parier que ce terme fera bientôt son entrée dans nos dictionnaires...

Humour militaire

Parce que c'est dimanche et que l'on ne va pas se prendre au sérieux un jour pareil, je vous propose de (re)découvrir un classique de l'humour troupier, autour d'une histoire d'éclipse solaire... Ou comment un ordre donné peut se déformer au fur et à mesure qu'il dégringole dans la hiérarchie.



Le capitaine à l'adjudant :
« Comme vous devez le savoir, il y aura demain une éclipse de soleil, ce qui n’arrive pas tous les jours. Vous ferez partir les hommes à 5 heures, en tenue de campagne, pour le terrain de manœuvre. Ils pourront y voir le phénomène et je leur donnerai les explications nécessaires. S’il pleut, il n’y aura rien à voir, dans ce cas, laisser les hommes en chambre ».

L'adjudant au sergent de semaine :
« Sur ordre du capitaine, demain à 5 heures, il y aura une éclipse du soleil en tenue de campagne ; le capitaine donnera au terrain de manœuvre les explications nécessaires, ce qui n’arrive pas tous les jours ; s’il pleut, il n’y aura rien à voir ; mais alors ce phénomène aura lieu en chambre ».

Le sergent de semaine au caporal de semaine :
« Sur ordre du capitaine, à 5 heures du matin, ouverture de l’éclipse du soleil au terrain de manœuvre. Les hommes en tenue de campagne, le capitaine donnera les explications sur ce rare phénomène dans la chambre, si parfois il pleuvait, ce qui n’arrive pas tous les jours ».

Le caporal de semaine au militaire de faction :
« Demain  le capitaine à 5 heures fera éclipser le soleil en tenue de campagne avec les explications nécessaires sur le terrain de manœuvre ; si parfois il pleuvait, ce rare phénomène aurait lieu en chambre, ce qui n’arrive pas tous les jours ».

Les militaires entre eux :
« Demain très tôt, à 5 heures du matin, le soleil au terrain de manœuvre fera éclipser le capitaine en chambre. Si parfois il pleuvait, ce rare phénomène aurait lieu en tenue de campagne, ce qui n’arrive pas tous les jours ».

Repos !
Et bon dimanche.

Toto l'éléphanteau

Ce poème de Pierre Delanoë inaugure une série de textes que je vais vous proposer dans les semaines à venir, et dans lesquels l'humour et la poésie font bon ménage...


TOTO L'ÉLÉPHANTEAU

Sur la dalle de La Défense
Où l'avaient conduit ses vacances
Petit Toto l'éléphanteau
Regardait les écriteaux
Défense d'entrer, d'afficher
De stationner et de doubler
De faire pipi sur les pelouses
Tout cela lui donna le blues
Et l'enfant éléphant se dit
Qu'il y avait dans ce pays
Plus de défenses assurément
Qu'au cimetière des éléphants.

Pierre Delanoë

Citation de René Rioul

Écrire sa vie, c'est vivre. C'est vivre plus consciemment, plus fortement.
René RIOUL

Faux prétexte

Faux prétexte est-il un pléonasme ?

Jetons-nous donc sur le dictionnaire. Celui que vous voulez. Je vous propose le Robert (puisque je l'ai sous la main). Je chausse mes lunettes de lecture et lit :
Prétexte : raison donnée pour dissimuler le véritable motif d'une action. 

Donc, par définition, un prétexte est faux.
On pourra toutefois dire d'un prétexte qu'il est mauvais. Je me demande d'ailleurs si la généralisation des faux prétextes ne vient pas d'une confusion avec les mauvais prétextes.

Par extension, un prétexte fallacieux est aussi pléonastique. Et ne me trouvez pas d'argument fallacieux pour me prouver le contraire !

Ne pas confondre : décrépi et décrépit

Décrépi : avec ou sans "T" ?

Soit on se la joue à pile ou face, soit on saute sur un dico et on vérifie. Je vous propose, puisque nous sommes entre gens de bonne compagnie, de choisir la deuxième option...
Et là, surprise ! Ce sont deux mots différents !

Décrépi : participe passé du verbe décrépir, qui signifie enlever le crépi, l'enduit d'un mur, d'une façade.
On parlera ainsi d'un mur décrépi.

Décrépit : qui est arrivé avec l'âge à un état complet de déchéance physique ; sénile, usé. Qui, avec le temps, a pris un aspect misérable, délabré.
Exemples : un vieillard décrépit, un immeuble décrépit.

On pourrait donc s'amuser à combiner les exemples ci-dessus pour utiliser les deux mots dans une même phrase :

Les murs décrépis de cet immeuble décrépit sont désormais prêts à être ravalés.

Prosopopée

Prosopopée : voici un terme peu connu, mais qui désigne pourtant une figure de style assez courante. Jugez-en plutôt :
La prosopopée est une figure de rhétorique par laquelle l'auteur prête la parole à un absent ou à un être inanimé. (Larousse)
Eh bien, me diront certains, il ne s'agit jamais que de la personnification, mot en outre plus simple à retenir.
Et là je réponds : que nenni ! Il y a une différence, infime certes, mais appelons un chat un chat,car la langue française est riche et toute de nuances !
La prosopopée est une figure de style proche de la personnification, qui s'en différencie toutefois par le fait que l'auteur donne la parole à ce personnage fictif ou être inanimé.

Rien ne vaut quelques exemples pour illustrer tout ça :
Voici une personnification (du soleil en l'occurrence) :
Le soleil aussi attendait Chloé, mais lui pouvait s'amuser à faire des ombres (Boris Vian, L'écume des jours)
Et voici maintenant une prosopopée, dans laquelle c'est un bateau (le France) qui s'exprime à la première personne :
Ne m'appelez plus jamais France
La France, elle m'a laissé tomber (Michel Sardou)
La prosopopée est aussi utilisée dans les devinettes qui se terminent généralement par la question "Qui suis-je ?".

Enfin, et pour finir en beauté, voici un extrait de la Constitution française de 1958 :
Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 [...]

Pierre DAC

Pierre DAC nous a quittés le 9 février 1975, à l'âge de 82 ans.
Il n'avait pas son pareil pour jouer avec les mots, raison pour laquelle je lui consacre ce petit billet.
Et quoi de mieux que quelques citations loufoques pour lui rendre hommage...


Toute chose finie n'est jamais entièrement achevée tant qu'elle n'est pas complètement terminée. 
C'est en voulant connaître toujours davantage qu'on se rend compte qu'on ne sait pas grand-chose. 
Il est incontestable que de tous les arts, l'art culinaire est celui qui nourrit le mieux son homme. 
Il faut qu'une porte soit ouverte... ou d'une autre couleur. 
Il vaut mieux se laver les dents dans un verre à pied que les pieds dans un verre à dents. 
Il y en a qui sont faits pour commander et d'autres pour obéir. Moi je suis fait pour les deux: ce midi, j'ai obéi à mes instincts en commandant un deuxième pastis. 
Je suis pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour. 
L'argent des uns n'a jamais fait le bonheur des autres. 
Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir. 
Pour que l'homme n'ayant pas de chemise soit heureux, il faut que la femme qui l'accompagne n'en porte pas non plus.

La guerre

J'ai découvert ce poème grâce à la prof de français du jeune homme que j'accompagne en cours, une semaine par mois (CAP) durant cette année scolaire. Elle leur en avait proposé un extrait et je vous le livre dans son intégralité...

La guerre

À la mémoire de son neveu, le Lieutenant Victor Fabrègue, tué à Gravelotte.

I
Du fer, du feu, du sang ! C’est Elle ! C’est la Guerre !
Debout, le bras levé, superbe en sa colère,
Animant le combat d’un geste souverain.
Aux éclats de sa voix s’ébranlent les armées;
Autour d’elle traçant des lignes enflammées,
Les canons ont ouvert leurs entrailles d’airain
Partout chars, cavaliers, chevaux, masse mouvante !
En ce flux et reflux, sur cette mer vivante,
À son appel ardent l’Épouvante s’abat.
Sous sa main qui frémit, en ses desseins féroces,
Pour aider et fournir aux massacres atroces
Toute matière est arme, et tout homme soldat.
Puis, quand elle a repu ses yeux et ses oreilles
De spectacles navrants, de rumeurs sans pareilles,
Quand un peuple agonise en son tombeau couché,
Pâle sous ses lauriers, l’âme d’orgueil remplie,
Devant l’œuvre achevée et la tache accomplie
Triomphante elle crie à la Mort: bien fauché !
Oui, bien fauché ! vraiment la récolte est superbe;
Pas un sillon qui n’ait des cadavres pour gerbe.
Les plus beaux, les plus forts sont les premiers frappés.
Sur son sein dévasté qui saigne et qui frissonne
L’Humanité, semblable au champ que l’on moissonne,
Contemple avec douleur tous ces épis coupés.
Hélas ! au gré du vent et sous sa douce haleine
Ils ondulaient au loin, des coteaux à la plaine,
Sur la tige encor verte attendant leur saison.
Le soleil leur versait ses rayons magnifiques;
Riches de leur trésor, sous les cieux pacifiques,
Ils auraient pu mûrir pour une autre moisson.

II
Si vivre c’est lutter, à l’humaine énergie
Pourquoi n’ouvrir jamais qu’une arène rougie ?
Pour un prix moins sanglant que les morts que voilà
L’homme ne pourrait-il concourir et combattre ?
Manque-t-il d’ennemis qu’il serait beau d’abattre ?
Le malheureux ! il cherche, et la Misère est là !
Qu’il lui crie: À nous deux ! et que sa main virile
S’acharne sans merci contre ce flanc stérile
Qu’il s’agit avant tout d’atteindre et de percer.
À leur tour, le front haut, l’lgnorance et le Vice,
L’un sur l’autre appuyé, l’attendent dans la lice;
Qu’il y descende donc, et pour les terrasser.
À la lutte entraînez les nations entières.
Délivrance partout ! effaçant les frontières,
Unissez vos élans et tendez-vous la main.
Dans les rangs ennemis et vers un but unique,
Pour faire avec succès sa trouée héroïque,
Certes, ce n’est pas trop de tout l’effort humain.
L’heure semblait propice, et le penseur candide
Croyait, dans le lointain d’une aurore splendide,
Voir de la Paix déjà poindre le front tremblant.
On respirait. Soudain, la trompette à la bouche,
Guerre, tu reparais, plus âpre, plus farouche,
Écrasant le Progrès sous ton talon sanglant.
C’est à qui le premier, aveuglé de furie,
Se précipitera vers l’immense tuerie.
À mort ! point de quartier ! l’emporter ou périr !
Cet inconnu qui vient des champs ou de la forge
Est un frère; il fallait l’embrasser on l’égorge.
Quoi ! lever pour frapper des bras faits pour s’ouvrir !
Les hameaux, les cités s’écroulent dans les flammes.
Les pierres ont souffert, mais que dire des âmes ?
Près des pères les fils gisent inanimés.
Le Deuil sombre est assis devant les foyers vides,
Car ces monceaux de morts inertes et livides
Essaient des cœurs aimants et des êtres aimés.
Affaiblis et ployant sous la tâche infinie
Recommence, Travail ! rallume-toi, Génie !
Le fruit de vos labeurs est broyé, dispersé.
Mais quoi ! tous ces trésors ne formaient qu’un domaine:
C’était le bien commun de la famille humaine.
Se ruiner soi-même, ah ! c’est être insensé !
Guerre, au seul souvenir des maux que tu déchaînes,
Fermente au fond des cœurs le vieux levain des haines;
Dans le limon laissé par tes flots ravageurs
Des germes sont semés de rancune et de rage,
Et le vaincu n’a plus, dévorant son outrage,
Qu’un désir, qu’un espoir: enfanter des vengeurs.
Ainsi le genre humain, à force de revanches,
Arbre découronné, verra mourir ses branches.
Adieu, printemps futurs ! adieu, soleils nouveaux !
En ce tronc mutilé la sève est impossible.
Plus d’ombre, plus de fleurs, et ta hache inflexible,
Pour mieux frapper les fruits, a tranché les rameaux.

III
Non, ce n’est point à nous, penseur et chantre austère,
De nier les grandeurs de la mort volontaire.
D’un élan généreux il est beau d’y courir.
Philosophes, savants, explorateurs, apôtres,
Soldats de l’Idéal, ces héros sont les nôtres;
Guerre, ils sauront sans toi trouver pour qui mourir.
Mais à ce fer brutal qui frappe et qui mutile,
Aux exploits destructeurs, au trépas inutile,
Ferme dans mon horreur, toujours je dirai: Non !
O vous que l’Art enivre ou quelque noble envie,
Qui, débordant d’amour, fleurissez pour la vie,
On ose vous jeter en pâture au canon !
Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille !
Pour un lambeau d’État, pour un pan de muraille,
Sans pitié, sans remords, un peuple est massacré.
Mais il est innocent !- Qu’importe? On l’extermine.
Pourtant la vie humaine est de source divine;
n’y touchez pas; arrière ! un homme, c’est sacré !
Sous des vapeurs de poudre et de sang quand les astres
Palissent indignés, parmi tant de désastres,
Moi-même à la fureur me laissant emporter,
Je ne distingue plus les bourreaux des victimes;
Mon âme se soulève, et devant de tels crimes
Je voudrais être foudre et pouvoir éclater.
Du moins, te poursuivant jusqu’en pleine victoire,
À travers tes lauriers, dans les bras de l’Histoire
Qui, séduite, pourrait t’absoudre et te sacrer,
O Guerre, Guerre impie, assassin qu’on encense,
Je resterai, navrée et dans mon impuissance,
Bouche pour te maudire et cœur pour t’exécrer.

Paris, 8 février 1871

Louise Ackermann, Poésies Philosophiques

H comme...

Petite sélection personnelle et tout à fait subjective de mots commençant par la lettre H...





Hamster
Probablement l'animal de compagnie le plus idiot qu'il m'ait été donné d'avoir à la maison. Mes enfants s'en sont vite lassés, lui préférant... le rat, lequel est autrement plus intelligent (et propre !). Je sens que je ne vais pas me faire que des amis, là...

Handball [bal]
J'ai ajouté la phonétique de la dernière syllabe, car le mot est d'origine allemande et non anglaise. Sport collectif que j'ai pratiqué dans ma prime jeunesse, du côté de Toulouse. Il fait en outre partie de ces disciplines que j'adore suivre à la télévision, car c'est d'une rare intensité, tant physique qu'émotionnelle. Pas mal pour un "footeux", non ?

Havane
Bien que ne fumant (presque) plus, la simple évocation de ce mot m'est tout simplement exquise. Un bon havane, un verre de cognac de la même noblesse, un beau coucher de soleil (ou un bon feu de cheminée, selon la saison)... Que demander de plus ?

Hélicoptère
Étrange machine volante dont le pilotage m'a procuré des sensations, des joies et deux ou trois frayeurs jamais égalées à ce jour. De l'Alouette II à la Gazelle, en passant par l'Alouette III (un coup de cœur particulier pour cette dernière), ces machines auront été au cœur de mon métier pendant plus de 20 ans. Mon seul regret, finalement, sera de ne jamais piloter le Tigre. À quelques années près...

Hérault
Département (6224 km2) du Languedoc-Roussillon (pour l'instant en tout cas) dont le chef-lieu est Montpellier et qui compte, à ce jour, deux sous-préfectures que sont Lodève et surtout Béziers, mon "fief" actuel. Pour la petite histoire, il a été créé en 1790. Il doit son nom au petit fleuve côtier éponyme, long de 160 km et qui se jette dans la Méditerranée à Agde. Ses gorges (profondes) jouissent d'une certaine réputation...
Voilà, c'était la minute de géographie !

Hérisson
Ou plutôt son élégance. Ce qui devrait vous rappeler le titre d'un bouquin que je vous recommande chaudement. Je le classe personnellement dans le "top 10" de tout ce que j'ai lu à ce jour. Merci Muriel !

Héron
Bel oiseau, plutôt élégant et possédant quelques lettres (de noblesse) grâce à Jean. Les enfants le confondent souvent avec le tapon. D'où cette petite phrase que vous avez tous déjà entendue (voire chantée) : “Héron, héron, petit, pas tapon.”
Je finis d'avaler mon clown avant de passer au mot suivant. Merci.

Hétérosexuel
Je suis. Et pour l"instant, je ne m'en cache pas et peut encore le revendiquer...

Hexagone
N'étant pas très porté sur les maths en général et la géométrie en particulier, ce mot évoque donc pour moi la France avant tout. Et, entre nous : quel pays ! Quelle géographie ! Quelle histoire ! Quel patrimoine ! Quels fromages ! Quels vins ! Quelles femmes ! Et surtout : quelle langue ! Dommage qu'il soit habité par les... Non, je ne la ferai pas, celle-là. Trop facile.
Je viens en outre de débuter la lecture du bouquin de Loràn Deutsch...

Histoire
Ce fut, avec le français, ma matière préférée à l'école. Enfin, l'histoire telle qu'on l'enseignait alors. Ça me faisait rêver. Et il y  avait plein d'histoires dans l'Histoire. Plus tard j'ai eu, en classes préparatoires, un professeur extraordinaire avec lequel j'ai d'ailleurs gardé le contact. Certains lecteurs de ce blog l'ont aussi connu. Il vous salue tous... En particulier les Kubs !

Hollande
...
Amsterdam, c'est sympa.

Houblon
Une bonne tartine, de temps en temps...

HTML
Langage plus simple à digérer que le français. L'ai beaucoup pratiqué il y a quelques années. Ce que je n'ai pas oublié me sert encore, de temps en temps, à "tripatouiller" la mise en page de mes sites internet ou de mes articles sur ce blog.

Huître
Étant Charentais, vous comprendrez aisément que ma préférence va aux huîtres de Marennes. Une vraie gourmandise.

Humour
Une arme. Un bouclier. Un état d'esprit.
À cultiver sans faute. C'est vital.

Hygiaphone
= Téléphone. Non, pas l'appareil, le groupe de rock !

Hypocrisie
Attitude consistant à dissimuler son caractère ou ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu'on n'a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance. (Larousse)
Honnêtement, et juste entre nous : vous n'y avez jamais succombé ? Moi, non.


Perspective d'avenir

"Perspective d'avenir". Qui n'a pas déjà entendu au moins une fois cette expression ? On la retrouve même dans des publications dont le sérieux n'est plus à démontrer, comme ici par exemple.
Il s'agit pourtant d'un magnifique pléonasme.
Comme d'habitude, replongeons-nous dans un dico (le Larousse pour ce qui suit, mais si vous préférez Robert, je n'y vois aucun inconvénient !) :

Perspective (dans le sens qui nous intéresse) : Ensemble d'événements, de projets ou évolution, devenir de quelque chose qui se présente comme probable ou possible ; éventualité, horizon.

La notion d'avenir, de futur est déjà dans la définition même du mot perspective. À quoi bon, alors, ajouter "d'avenir" ? Peut-on parler de perspective passée, ou présente ?

Encore une fois, on constate que la méconnaissance des mots utilisés est une source inépuisable de pléonasmes...

Ne pas confondre : décollation, décollement et décollage

Décollation, décollement, décollage... Zut, lequel employer ?

Décollation : (vieux français) Action de trancher le cou, de couper la tête. (Larousse)

Décollement : Action de décoller, de se décoller, fait d'être décollé (Larousse)

Décollage : Action, fait de décoller, de se décoller.
Action de sortir de la stagnation, de se développer ; démarrage.
Action de décoller, de quitter le sol, en parlant d'un avion, d'un hélicoptère, d'une fusée. (Larousse)

On connaît tous le décollage. Facile. Il ne viendra à l'idée de personne de parler de décollement d'un avion. Encore moins d'une décollation ! On pourrait vous accuser d'avoir perdu la tête !
On dira des oreilles de son voisin qu'elles sont décollées ou que ce brave homme souffre d'un décollement des oreilles (et non d'un décollage).
Quant à subir une décollation, c'est une toute autre histoire...

Le doute peut donc subsister entre décollage et décollement. Pour faire simple, on dira que le décollage induit une action, alors que le décollement est plutôt lié à un état.
Prenons un exemple :

Le décollement du papier peint à certains endroits de ce mur m'a incité à entreprendre le décollage complet de la tapisserie en vue de la remplacer.

Subtile, la langue française ? Je veux, mon neveu !


Dictons de février

Février, le mois le plus court de l'année.
Février, le mois des crêpes (voir l'article d'hier) et des amoureux.
Février le mois des grands froids aussi (enfin, souvent).
Bref, il est un peu à part dans le calendrier.
Et, comme à chaque début de mois, je vous propose une petite série de dictons pour l'illustrer...


  • Février trop doux, printemps en courroux.
  • Février avec neige nous garantit un bel été 
  • Si Février n'a ni pluie ni giboulées, seront ennuyeux tous les mois de l'année.
  • Quand la bise oublie février, elle arrive en mai
  • Si février est chargé d'eau, le printemps n'en sera que plus beau
  • Février pluvieux, mars hâleux, bons pour les laboureux
  • Février de tous les mois, est le pire cent fois
  • Il vaut mieux voir un loup dans le troupeau, qu'un mois de février trop beau
  • Neige de février vaut fumier.
  • En février, si au soleil ton chat tend sa peau, en mars, il l'exposera au fourneau.
Sinon, elles étaient bonnes, les crêpes, hier ?

La chandeleur

Aujourd'hui est un jour un peu spécial. C'est le 2 février, donc la Chandeleur (et, accessoirement, l'anniversaire de votre serviteur).

Si, à l'origine, la Chandeleur est une fête religieuse chrétienne (commémoration de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem et purification de sa mère, la sainte Vierge), aujourd'hui elle est surtout synonyme de crêpes. Et moi les crêpes, j'adore !

Vous connaissez probablement tous la tradition : on fait sauter la crêpe de la main droite en tenant une pièce de monnaie dans la main gauche. Pour s'assurer la prospérité toute l'année, la crêpe doit atterrir correctement dans la poêle. Je me suis entraîné toute la nuit et devrais donc être riche cette année. Ce qui est doublement faux.

En attendant, voici quelques dictons et proverbes ayant pour thème la Chandeleur.

À la Chandeleur, l'hiver se meurt ou prend vigueur. 
À la Chandeleur, grande neige et froideur. 
À la Chandeleur, au grand jour, les grandes douleurs. 
Si la chandelle est belle et claire, nous avons l'hiver derrière. 
Chandeleur à ta porte, c'est la fin des feuilles mortes.

À la Candélouse, l'ours fait trois sauts
hors de son trou :
s'il neige, il s'en va ;
s'il fait soleil, il rentre
et ne sort plus pendant quarante jours.

(Proverbe provençal) 
À la Chandôles, quand le soleil brille,
le loup rentre dans sa grotte pour six semaines ;
quand il ne brille pas, c'est pour quarante jours.

(Proverbe lorrain)
Et n'oubliez pas :
À la Chandeleur
À toute heure
Mange des crêpes
De bon coeur.
Bon appétit à tous !

Le dormeur du val

Pour ce premier jour de février, je vous propose de redécouvrir un poème que j'aime beaucoup...

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD