Le 14 juillet vu par Victor Hugo


Victor HUGO a célébré à sa façon la fête nationale, avec ce poème tiré du recueil Les chansons des rues et des bois (1865)...



Célébration du 14 juillet dans la forêt

Qu'il est joyeux aujourd'hui 
Le chêne aux rameaux sans nombre, 
Mystérieux point d'appui 
De toute la forêt sombre !

Comme quand nous triomphons, 
Il frémit, l'arbre civique ; 
Il répand à plis profonds 
Sa grande ombre magnifique.

D'où lui vient cette gaieté ? 
D'où vient qu'il vibre et se dresse, 
Et semble faire à l'été 
Une plus fière caresse ?

C'est le quatorze juillet. 
À pareil jour, sur la terre 
La liberté s'éveillait 
Et riait dans le tonnerre.

Peuple, à pareil jour râlait 
Le passé, ce noir pirate ; 
Paris prenait au collet 
La Bastille scélérate.

À pareil jour, un décret 
Chassait la nuit de la France, 
Et l'infini s'éclairait 
Du côté de l'espérance.

Tous les ans, à pareil jour, 
Le chêne au Dieu qui nous crée 
Envoie un frisson d'amour, 
Et rit à l'aube sacrée.

Il se souvient, tout joyeux, 
Comme on lui prenait ses branches ! 
L'âme humaine dans les cieux, 
Fière, ouvrait ses ailes blanches.

Car le vieux chêne est gaulois : 
Il hait la nuit et le cloître ; 
Il ne sait pas d'autres lois 
Que d'être grand et de croître.

Il est grec, il est romain ; 
Sa cime monte, âpre et noire, 
Au-dessus du genre humain 
Dans une lueur de gloire.

Sa feuille, chère aux soldats, 
Va, sans peur et sans reproche, 
Du front d'Epaminondas 
À l'uniforme de Hoche.

Il est le vieillard des bois ; 
Il a, richesse de l'âge, 
Dans sa racine Autrefois, 
Et Demain dans son feuillage.

Les rayons, les vents, les eaux, 
Tremblent dans toutes ses fibres ; 
Comme il a besoin d'oiseaux, 
Il aime les peuples libres.

C'est son jour. Il est content. 
C'est l'immense anniversaire. 
Paris était haletant. 
La lumière était sincère.

Au loin roulait le tambour...? 
Jour béni ! jour populaire, 
Où l'on vit un chant d'amour 
Sortir d'un cri de colère !

Il tressaille, aux vents bercé, 
Colosse où dans l'ombre austère 
L'avenir et le passé 
Mêlent leur double mystère.

Les éclipses, s'il en est, 
Ce vieux naïf les ignore. 
Il sait que tout ce qui naît, 
L'oeuf muet, le vent sonore,

Le nid rempli de bonheur, 
La fleur sortant des décombres, 
Est la parole d'honneur 
Que Dieu donne aux vivants sombres.

Il sait, calme et souriant, 
Sérénité formidable ! 
Qu'un peuple est un orient, 
Et que l'astre est imperdable.

Il me salue en passant, 
L'arbre auguste et centenaire ; 
Et dans le bois innocent 
Qui chante et que je vénère,

Étalant mille couleurs, 
Autour du chêne superbe 
Toutes les petites fleurs 
Font leur toilette dans l'herbe.

L'aurore aux pavots dormants 
Verse sa coupe enchantée ; 
Le lys met ses diamants ; 
La rose est décolletée.

Aux chenilles de velours 
Le jasmin tend ses aiguières ; 
L'arum conte ses amours, 
Et la garance ses guerres.

Le moineau-franc, gai, taquin, 
Dans le houx qui se pavoise, 
D'un refrain républicain 
Orne sa chanson grivoise.

L'ajonc rit près du chemin ; 
Tous les buissons des ravines 
Ont leur bouquet à la main ; 
L'air est plein de voix divines.

Et ce doux monde charmant, 
Heureux sous le ciel prospère, 
Épanoui, dit gaiement : 
C'est la fête du grand-père.

Victor Hugo

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